L’École mutuelle est une méthode d’enseignement qui se développera dans les années 1747 en France puis en Grande-Bretagne, avant de se diffuser plus largement en Europe au début du XIXe siècle. Elle repose essentiellement sur les principes de coopérations, d’autonomie et de responsabilisation, des termes actuellement utilisés par des pédagogues insatisfaits du modèle d’enseignement traditionnel.

 

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L’histoire de la méthode

Charles Démia, un prêtre de Lyon, en France, serait le précurseur de cette méthode. Toutefois, certains principes de ce modèle avaient déjà été appliqués dans la haute antiquité. Un explorateur italien fait également allusion, en 1618, à des enfants s’apprenant mutuellement une leçon sur une plage en Inde. Ce propos est appuyé par Andrew Bell, un écossais Chapelain qui dit avoir observé cette façon de procéder à Madras, également en Inde, et qui rapportera, en 1798, la méthode en Grande-Bretagne sous le nom de monitoral System.

En France, c’est donc dès le XVIIe siècle que plusieurs écoles sont créées, sous l’impulsion de Charles Démia qui théorisera la méthode en 1688. D’autres, comme Herbault, l’appliqueront auprès d’enfants issus de milieux défavorisés, avant que Lancaster, en 1801, lui donne sa forme définitive sous le nom de « méthode lancastrienne » et lui permette de se répandre largement en Grande-Bretagne.

La méthode sera décriée en France, car elle fait peur. Premièrement, elle remet en cause l’idée selon laquelle l’autorité permanente d’un maître est nécessaire tant pour garantir la bonne moralité des élèves que pour veiller au développement de leur intellect et de leur savoir. Deuxièmement, d’un point de vue économique, l’école mutuelle permettait d’instruire les plus pauvres, et ce, à un coût faible et en un temps record. Ainsi, certaines statistiques de l’époque montrent que ce moyen d’instruction avait permis de multiplier par au moins 750 % le nombre d’enfants recevant de l’instruction (Journal d’éducation, octobre 1828, p. 378). Cette méthode représentait une possibilité d’éduquer les masses et une chance pour les individus de passer de la simple position de l’élève à celle du maître : un façon de s’élever à un autre rang social.
Des arguments qui jouent certainement en défaveur de l’ordre social à une période déjà troublée en Europe par de nombreuses révoltes, dont la Révolution française.

L’Église catholique, pour différentes raisons, s’opposera à cette méthode d’éducation et le pape Léon XII ira jusqu’à interdire l’enseignement mutuel en 1824 alors qu’en France, une décision ministérielle de 1833 le marginalisera.

 

Les principes de la méthode

La mise en pratique reposait sur une hiérarchie qui s’organisait notamment autour de moniteurs généraux, moniteurs intermédiaires, etc., et descendait jusqu’aux élèves débutants. Au sommet de la pyramide se trouvait un seul maître qui pouvait administrer une école comptant jusqu’à huit cents élèves et qui prodiguait un excellent enseignement auprès des seuls moniteurs. Ceux-ci, comme presque tous les autres élèves, étaient responsables d’apprendre à leur niveau et de transmettre leurs connaissances à un niveau inférieur.

Cette pédagogie, pouvant se qualifier comme active et coopérative, offrait des résultats étonnants : elle permettait d’apprendre à lire et à écrire en deux ans au lieu des cinq à six années jusqu’alors requises.

L’organisation spatiale prévoyait l’installation des élèves sur des pupitres mobiles. Ainsi au gré des changements d’activités et de groupes, les élèves se déplaçaient.

Les classes, quant à elles, n’étaient pas constituées en fonction de l’âge des élèves, mais davantage en fonction de leur niveau : la priorité était à l’homogénéité des groupes. Cependant, les changements de groupe se faisaient, en tout temps, en fonction des résultats obtenus aux examens bimensuels.

Les matières abordées reposaient essentiellement sur l’écriture et la lecture auxquelles s’ajoutaient, dans la 5e classe, l’arithmétique. Bien sûr, d’autres complétaient ces matières de base. Elles variaient selon les besoins, la situation géographique des écoles et la période. Ainsi, la couture, l’instruction religieuse, la géométrie, la grammaire, l’orthographe, l’histoire, la géographie, la physique, la chimie, le chant, le latin, le dessin… sont quelques-unes de ces matières complémentaires.

Les particularités de l’enseignement sont la simultanéité de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour l’apprentissage, les moniteurs avaient recours à du matériel comme le sable (pour tracer les lettres tout au début de l’apprentissage), puis l’ardoise et le tableau mural. Des syllabaires, des tableaux de lecture et d’arithmétique étaient également utilisés. Il semblerait que seule la dernière des neuf classes composant le parcours scolaire disposait de quelques livres. Cette façon de procéder réduisait considérablement les coûts, d’autant plus que les moniteurs ne bénéficiaient que d’une modeste allocation. Ainsi, même les écoles privées qui offraient l’enseignement mutuel pouvaient proposer des coûts de scolarité faibles que beaucoup de famille pouvait assumer.

Dans ces écoles, un ordre absolu régnait à toutes les étapes et la discipline y était stricte. Contrairement à l’usage de l’époque, frapper ou menacer un élève était défendu, cependant chaque débordement était notifié, examiné et faisait parfois l’objet d’un jugement interne dont les conséquences pouvaient aller jusqu’au renvoi de l’élève.

 

De nos jours

Dans les années 80, Jean-Pol Martin fait redécouvrir la méthode en Allemagne. Ce professeur français qui s’installa dès 1969 en Allemagne la redéfinit en la basant sur les neurosciences et la psychologie de la cognition. Dès lors, elle portera le nom de Lernen durch Lehrer (Ldl) (Apprendre sans professeur) et elle est, encore actuellement, encouragée dans toutes les régions allemandes par les ministères de l’Éducation. Pour les enseignants qui la choisissent, elle est applicable dans toutes les matières de l’école primaire à l’université.

Autre adaptation, celle de Vincent Faillet, professeur français et doctorant en sciences de l’éducation. Il s’appuie sur la méthode mutuelle telle que pratiquée au XIXe siècle et organise ses cours autour de trois séquences : vingt minutes de cours sont proposées par l’enseignant, cinquante minutes sont réservées à des exercices ou aux explications des élèves pour leurs pairs et les dix minutes restantes servent à dresser le bilan. À la méthode initiale, Vincent Faillet a ajouté davantage de liberté et de responsabilité pour les élèves qui sont tous susceptibles de jouer le rôle du moniteur.

Nous pouvons également faire des liens entre cette méthode et celles proposées par différents pédagogues dont Sugatra Mitra qui s’appuie sur les différentes expériences qu’il a menées et dans lesquelles il a démontré la capacité des enfants, tout d’abord, à apprendre par eux-mêmes et, ensuite, à partager les connaissances acquises, même très complexes, avec leurs pairs. L’article Sugatra Mitra : « L’éducation est un système qui s’auto-organise » est disponible ici.

Par Catherine Malichecq

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