
Chaque pas était plus éprouvant que le précèdent. L’air musqué s’accrochait et m’écrasait alors que je marchais. Le voile sur ma tête menaçait de s’installer autour de mon cou en ce jour le plus sacré de la semaine. Je ne devrais même pas être vue par un homme un vendredi. Rapidement, je replaçai le voile sur ma frange de cheveux en m’assurant de le glisser soigneusement sous le devant de ma chemise. Depuis une maison voisine, les odeurs de cannelle et de clou de girofle dansaient dans l’air. Celles du pain chaud mêlé aux épices se frayaient un chemin jusqu’à mes narines. Rapidement, je me retrouvai entraînée dans un tango, accompagnée de deux autres qui ne pouvaient y résister.
Ce jour-là, la récréation dura plus longtemps, principalement à cause de mon incapacité à concurrencer les haut-parleurs voisins : un imam prêchait avec ferveur, pendant que Jake*, Sarah* et moi mangions nos friandises sur le sol frais en béton, un refuge apprécié face au soleil brûlant. Nous avons monté les nombreux escaliers après la fin des prières et avant le début de notre journée. Sarah s’est occupée à un projet d’affaires, alors que Jake et moi avons plongé dans la géographie.
Jake, un garçon plein d’esprit, éprouvait de la difficulté à se concentrer sur les petits travaux qui lui étaient assignés. Néanmoins, il faisait preuve de beaucoup de détermination pour les accomplir. Il visait toujours à plaire à ses formateurs, même les simples remplaçants. Quant à moi, l’histoire et la géographie se révélèrent un défi, car je cherchais à apporter un regard nouveau à ces sujets moins créatifs. J’étais reconnaissante de la facilité avec laquelle il riait, même si j’en étais souvent la cause.
Les parents de Jake et Sarah travaillaient dans un pays à prédominance musulmane; ils confiaient donc à d’autres la tâche de faire l’école-maison adéquatement à leurs enfants. La famille embauchait souvent un formateur pour plusieurs mois, mais devait répéter le processus d’entrevue en cours d’année scolaire. Cela générait des lacunes, les enfants n’étant pas toujours enclins à poursuivre leur travail de façon autonome. De plus, ils devaient faire face à une autre difficulté, celle d’établir des liens significatifs avec les adultes, alors que les formateurs ne faisaient que passer.
Alors que j’en connaissais peu sur l’école-maison, je commençai à percevoir la valeur inhérente de l’éducation formelle donnée par les parents à leurs enfants. Les concepts que je leur présentais étaient rapidement saisis dès qu’un parent l’expliquait plus en détail. Et une joie profonde apparaissait sur le visage de l’enfant lorsqu’il recevait des compliments de ses parents. Je commençais à réaliser que certains problèmes de comportement que j’avais rencontrés pouvaient résulter d’un manque de moments propices à l’attachement. En effet, les enfants baignaient dans une culture qui accordait une grande valeur aux liens du sang et à l’unité communautaire. Ces liens se retrouvaient dans chaque aspect de la vie et de la culture, sans qu’aucun puisse y échapper.
Une partie de la difficulté reposait toutefois sur le sentiment de légitimité, car pour rester dans le pays, les parents de Jake et Sarah avaient besoin d’une raison valable pour s’y trouver…d’où l’emploi à temps plein qu’ils occupaient à l’extérieur du domicile. Le tutorat privé devenait alors une nécessité dans un lieu où l’offre scolaire est rare.
En tant que Canadienne, je peux choisir la scolarisation la plus bénéfique pour mes futurs enfants et je suis reconnaissante de cette liberté dont je ne pourrais jouir sans le soutien d’une communauté. Ces individus qui partagent la même vision veillent tout particulièrement à ce que nos droits ne soient pas brimés dans le processus éducatif. Dans de nombreux pays, le luxe de choisir n’existe pas et nous-mêmes ne devrions pas le considérer comme acquis. Ce que nous en faisons a un impact sur nos enfants et même sur ceux qui ne sont pas encore arrivés dans nos vies.
Nous vivons à une époque où les enfants sont inondés de messages vagues à propos de leur propre identité et du sens de l’existence. La confusion règne partout autour d’eux. Les parents ont donc l’opportunité de leur offrir de solides fondements et de devenir un modèle de sagesse pour une génération errante. L’enseignement à domicile peut être cette terre ferme où les « Jake » et les « Sarah » de ce monde trouvent leur place.
* Les prénoms ont été volontairement modifiés.
Par Laurel Coatsworth
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